Alors, il fait ses nuits ?!
Si on devait résumer la parentalité en une question, je crois que ce serait celle-là.
C’est LA question qui tue, d’une part car elle touche un point sensible (le sommeil, ô combien précieux, des parents) et soulève nombre d’autres problématiques sous-jacentes (éducation, supposées compétences parentales, et j’en passe), et d’autre part il semble que ce soit le sujet de prédilection de l’entourage. De fait, il n’est pas rare de l’entendre plusieurs fois par jour durant les premiers mois de vie de l’enfant.
Si vous faites partie des petits veinards doté du modèle « marmotte », qu’on pose dans son lit et qui dort direct 12h de suite à 1 mois, tout va bien (et accessoirement, je vous déteste ^^ ).
Pour tous les autres, cela va rapidement devenir votre hantise.
Culturellement parlant, en France, il est admis qu’un bébé doit dormir seul, dans son lit, idéalement dans sa chambre (même si pour les 2/3 premiers mois on tolère que ce soit dans celle des parents), et qu’il doit rapidement ne plus réveiller ses parents avant une heure décente (tolérons 6h du matin pour un coucher vers 20h). Par rapidement, comprendre environ 1 mois et demi / 2 mois.
Culturellement parlant, là encore, le sommeil c’est le sujet de prédilection des gens. On pourrait comparer ça à la météo : au lieu de parler de la pluie et du beau temps, on parle des nuits de bébé. Quand on demande à un adulte « Bonjour, ça va ? », on parlera de l’enfant en demandant s’il fait ses nuits.
Si votre tout-petit a l’outrecuidance de continuer à vous réveiller passée la période de 2 mois culturellement admise, alors chacun se fera un devoir de vous conseiller sur ce que vous devriez faire pour que votre enfant dorme, sous-entendant largement que 1/ ce n’est pas normal que bébé vous sollicite la nuit et 2/ vous ne savez manifestement pas vous y prendre. Pour peu qu’en plus il dorme avec vous, c’est que vous vous êtes faits avoir et qu’il a gagné….
La pression est telle que nombre de parents finissent par mentir, et que peu avouent que leurs enfants se réveillent la nuit, ou dorment avec eux… Cercle vicieux, puisque cela contribue à laisser penser que le bébé DOIT dormir longtemps et seul dès son plus jeune âge.
Norme culturelle vs Norme biologique
Sauf que en vrai, il est NORMAL qu’un enfant se réveille la nuit, et ce pendant plusieurs mois (années) !
Remettons le petit d’homme dans son contexte biologique :
- L’humain est un « animal » grégaire (qui vit en troupeau), le groupe rassure
- Le bébé humain est TOTALEMENT dépendant d’un adulte pour assurer ses besoins vitaux primaires (manger, boire, fuir en cas de danger immédiat…)
- L’enfant naît immature, notamment pour ce qui concerne son cerveau. La partie la plus développée à la naissance est le cerveau dit reptilien, qui contrôle les instincts et réflexes. Il n’est pas capable de raisonnement ni de prise de recul. Et ses instincts le poussent à chercher le contact permanent d’un adulte pour assurer sa survie (cf les points précédents)
- Le milieu de vie de référence du nouveau-né, instinctivement parlant, c’est la jungle. Les maisons et appartements où nous savons être à l’abri des prédateurs et de la plupart des dangers lui sont complètement inconnus.
Concrètement pour résumer : un bébé laissé seul se sent en danger de mort immédiat, et les pressions sélectives exercées pendant plusieurs milliers d’années lui ont appris à appeler à l’aide dès lors qu’il était seul pour solliciter le secours d’un adulte (le cri étant volontairement TRES désagréable, car l’intervention est urgente). Le groupe est un élément rassurant, entendre et sentir les autres sécurise énormément, tout le monde veille sur tout le monde. Et enfin d’une manière générale, se réveiller souvent la nuit permet de s’assurer que rien ne cloche dans l’environnement immédiat et qu’il y a bien toujours quelqu’un à côté de soi.
Renversons la situation, prenons le milieu de référence du nouveau-né, à savoir la jungle : y laisseriez-vous votre tout petit seul parterre ou dans une pièce plus éloignée de la case sans surveillance ? S’il y enchaînait 12h de sommeil sans vous solliciter, seriez-vous inquiet ou rassurés ?
Biologiquement parlant, la norme est de dormir avec d’autres personnes, et de se réveiller de temps en temps pour vérifier que tout est ok.
Revenons-en à la culture, la norme chez nous je l’ai décrite plus haut, il est intéressant de constater qu’on n’attend pas autant de nos enfants ailleurs… Pour la plupart des populations du monde, le sommeil partagé est la norme, et on ne s’inquiète pas d’être sollicités par les enfants la nuit durant les 2/3 premières années de vie de ces derniers (j’insiste bien, années, ce n’est pas une coquille). Et je ne parle pas que des pays dits « en voie de développement » (je n’aime pas ce terme mais faute de mieux….), au Japon par exemple le sommeil partagé est très répandu !
Oserais-je avouer qu’à 32 ans je me réveille encore souvent la nuit pour boire ou aller aux WC, et que je dors mal lorsque mon conjoint n’est pas là (et apprécie de fait tout particulièrement la présence rassurante de mon chien :-p ) ?
Du coup, concrètement, comment on dort ?!
Partant du principe qu’il est normal que l’enfant recherche de la compagnie la nuit, et normal également que les réveils soient fréquents, comment préserver notre sommeil à nous, parents ? Car il est bien évident que la répétition des nuits hachées sur la durée est épuisante, tant physiquement que nerveusement.
Pour commencer : se couper des commentaires toxiques et culpabilisants, et arrêter de chercher des solutions à un problème qui n’en est pas un. Vous ne dormirez pas mieux, mais vous ne dépenserez plus inutilement une énergie folle à lutter contre un processus normal. Garder en tête notamment qu’on ne peut pas forcer qui que ce soit à dormir s’il n’en a pas envie
Optimiser son temps et son espace de sommeil. Dormir pendant les sieste quand c’est possible… La pratique du sommeil partagé est aussi une aide non négligeable… L’OMS recommande de dormir dans la même pièce que bébé durant les 6 premiers mois de vie au moins, dans le cadre de la prévention de la mort subite du nourrisson.
Le plus « reposant » reste de partager le même couchage que l’enfant afin de ne pas avoir à se lever et de pouvoir intervenir au plus vite à chaque réveil.
Le « cododo », ou « cosleeping », est très pointé du doigt en France, jugé trop dangereux, études à l’appui. En réalité, les études pointant une augmentation des décès en relation avec le sommeil partagé ne différencient pas les conditions dans lesquelles ce dernier est pratiqué. C’est un point actuellement très problématique, car nombre de parents finissent par dormir avec leur enfant sous le coup de l’épuisement, mais sans en connaître les règles de bonne pratique dans la mesure où on préfère dire que c’est trop dangereux et interdire strictement, plutôt que d’éduquer et apprendre comment sécuriser la chambre.
Dans les sociétés pratiquant le cosleeping, il est intéressant de constater que les taux de décès périnataux ne sont pas plus élevés que chez nous…
Les points clés suivent :
- couchage sur le dos, sur un matelas ferme (pas de matelas à eau)
- chambre non surchauffée (rappel : la température jugée optimum se situe autour de 19 degrés)
- pas d’oreiller ou couette autour de l’enfant (risque qu’il s’y enfouisse et s’étouffe)
- on préférera coucher l’enfant à côté d’un seul des parents, et non entre les 2 (risque d’augmentation trop importante de température), et idéalement contre la mère. On veillera à ce qu’il n’y ait pas d’espace entre le matelas et le mur, où il pourrait se coincer
- le bébé ne doit pas être contre un autre enfant
- toutes les personnes en présence dans le lit doivent être informées de la présence du bébé (difficile d’avoir conscience de sa présence sinon)
- idéalement, la mère devrait allaiter son bébé : elle bénéficie ainsi d’un état hormonal favorable à la vigilance du bébé
- aucun fumeur dans la pièce. J’entends évidemment personne qui ne fume dans la pièce en elle-même, mais personne qui fumerait tout court… le corps du fumeur excrète des substances toxiques en permanence (monoxyde de carbone et toutes les autres joyeusetés contenues dans les cigarettes qui s’évacuent notamment par la respiration, les pores de la peau, la sueur, imprègnent les cheveux, etc…). Le tabagisme passif (= être en présence d’une personne fumeuse, pas uniquement en présence de fumée de cigarette) est un des facteurs de risque les plus mis en avant dans les causes de mort subite du nourrisson.
- aucune personne en état de vigilance altérée dans la pièce : on pense à la drogue et l’alcool, mais il faut aussi faire attention aux médicaments (certains altèrent la vigilance), et également à une fatigue excessive
Il est à mon sens préférable d’anticiper le sommeil partagé et de le sécuriser au maximum, que de risquer de finir par s’endormir sur le canapé avec bébé dans les bras parce qu’on est épuisé, ou qu’il s’endorme avec nous dans le lit alors qu’on n’a pas mis en place ce qu’il fallait au préalable et qu’on cumule les facteurs de risques…
On a conscience de la présence de l’enfant comme on a conscience de la présence du bord du lit, les cas d’écrasement sont excessivement rares et généralement reliés à des états de vigilance altérée.
A noter qu’il existe maintenant des berceaux spécifiquement conçus pour le co-sleeping, qui s’accolent à votre lit et permettent à chacun d’avoir son espace tout en bénéficiant des avantages du partage du même lit.
On m’a dit que…
Nombre d’idées reçues autour du sommeil de l’enfant ont la vie dure. Dans les conseils qu’on trouvera pour faire dormir bébé :
- le sevrage : les dernières études sur le sujet ne montrent pas de différences significatives entre le sommeil des bébés nourris au biberon ou au sein
- donner un biberon/des céréales le soir pour mieux le caler : cf point précédent, l’alimentation n’a pas d’impact sur le sommeil de l’enfant. D’une manière générale un repas trop lourd est plutôt réputé pour nuire à un sommeil de bonne qualité chez les adultes, il en va de même pour les enfants !
- Laisser pleurer : effectivement l’enfant finira par « céder » et ne plus solliciter ses parents la nuit, j’ai envie de demander à quel prix ? Le prix de la confiance en premier lieu… et de sa santé ensuite. On mesure chez les enfants qu’on laisse pleurer des taux de cortisol (hormone du stress) bien supérieurs à ceux qu’un adulte peut supporter sans que sa santé n’en pâtisse.
Il faut garder en tête que le tout-petit n’est autonome en rien : imaginez vous victime d’un grave accident vous laissant tétraplégique, apprécieriez-vous qu’on vous laisse appeler en vain toute la nuit alors que vous rencontrez un soucis ? Comment vivriez-vous cette situation, surtout si elle se répétait systématiquement ?
- si on habitue l’enfant à dormir avec nous, il ne voudra plus aller dans sa chambre ensuite : là encore cette affirmation est fausse. Je ne connais aucun ado de 15 ans qui dorme encore avec ses parents D’une manière générale, il arrive toujours un âge où l’enfant finit par réclamer sa chambre, et plus on essaye de l’empêcher de venir avec nous, plus il le réclame. Lui laisser libre accès lorsqu’il en a besoin « démystifie » le lieu, sécurise, et facilite la transition en pleine confiance.
Quand l’enfant grandit
Quand l’enfant grandit, il est toujours temps de remodeler l’organisation familiale en fonction des besoins et limites de chacun.
Si les tétées nocturnes posent problème, il peut être envisagé de tenter un sevrage des tétées nocturnes (en gardant en tête qu’il n’est absolument pas certain que cela stoppe les réveils !!! ce sont 2 problèmes distincts). Le sevrage de nuit est déconseillé avant 6-8 mois (être sûrs que le bébé ait bien toujours sa ration de lait).
Il n’y a pas de façon bienveillante de forcer quelqu’un à faire quelque chose qu’il n’a pas envie de faire. De fait avant de vous lancer dans cette entreprise, il est bon de se rappeler qu’il sera normal que l’enfant proteste et ne soit pas d’accord, et vous le fasse savoir clairement ! De même, prévoyez un laps de temps où les nuits seront pires, le temps que chacun retrouve ses marques.
Il n’y a pas de solution unique, dans les petites pistes de réflexion qui peuvent aider :
- changer complètement l’organisation du sommeil, par ex en changeant de chambre, pour casser les habitudes et éviter la tentation via la proximité
- impliquer un tiers (le papa par exemple), difficile d’avoir le sein sous le nez et ne pas y avoir droit
- au contraire conserver les habitudes et configurations pour sécuriser au max l’enfant
- expliquer à l’enfant avec des mots simples mais clairs ce qu’on attend de lui, sans oublier de redire qu’on est toujours là pour lui
- être sûr de son choix ! si vous doutez il est peu probable que cela fonctionne
L’enfant peut également rejoindre sa chambre, ou celle de ses frères et soeurs, notamment lorsqu’on a l’impression de le réveiller plus de par notre présence. Cela peut être progressif, en y démarrant sa nuit, et en restant avec vous ensuite à partir du premier réveil.
Lorsque l’épuisement s’installe, n’hésitez pas à déléguer à une personne de confiance pour vous octroyer une nuit de repos et repartir sur de bonnes bases : grands-parents, autres membres de la famille, amie…
En conclusion
En conclusion, je dirais que le sommeil, c’est le nerf de la guerre ! ON NE PEUT PAS forcer un enfant qui ne le souhaite pas / n’y arrive pas (aucune mention inutile à rayer) à dormir, et il n’y a pas grand chose d’autre à faire que de composer avec les particularités de nos enfants, accepter que certains enfants ont plus de difficultés que d’autres à s’accommoder de leur nouvelle vie terrienne, et tâcher de les accompagner du mieux qu’on peut.
C’est promis, un jour, ils dorment !!!!! (et là on remet le couvert :-p )
Et en vrai, leurs nuits, ils les font tous…. juste que ce sont les leurs, pas les nôtres !